Interview de Yann Bubien, directeur général de l’Agence Régionale de Santé PACA
- La rédaction
- 9 juil.
- 5 min de lecture
Interview - Juin 2025

Nous inaugurons avec ce numéro une nouvelle série d’entretiens centrés sur le rapport à la loi, à une loi qui a marqué une carrière ou un engagement politique.
La loi génère des réformes et des changements d’organisation, elle permet de développer de nouvelles politiques publiques et de nouveaux services. Les retours d’expérience que nous vous présenterons ici visent à éclairer sur les effets « sur le terrain », pour les agents publics, de textes de loi. Ces dynamiques s’inscrivent dans notre conviction commune de la nécessité d’un service public qui se reforme et dans la continuité de nos précédentes interviews sur la conduite du changement dans nos institutions.
Notre invité de ce mois est Yann Bubien, directeur général de l’Agence Régionale de Santé de Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Directeur d’hôpital de profession, il fut directeur de cabinet du président de la Fédération Hospitalière de France de 2000 à 2005, avant d’être nommé secrétaire général du centre hospitalier Sud-Francilien. Il rejoint en 2007 le cabinet de la ministre de la Santé Roselyne Bachelot, dont il devient le directeur adjoint de cabinet de 2009 à 2010, après avoir été conseiller de l’ambassadeur de France au Royaume-Uni.
Fin 2010, Yann Bubien intègre le cabinet du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé Xavier Bertrand, puis est nommé en 2011 directeur général du CHU d’Angers, établissement qu’il dirigera pendant six années avant de rejoindre le cabinet d’Agnès Buzyn en 2017. Après deux ans au cabinet du ministre de la santé, pendant lesquels il a pu présenter la loi de santé et la stratégie nationale d’accès aux soins (Ma santé 2022), il prend la tête du CHU de Bordeaux, quelques mois avant l’arrivée du Covid, et pilote ainsi la crise sanitaire depuis l’hôpital.
En janvier 2024, il devient directeur adjoint du cabinet de Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, avant d’être nommé directeur général de l’ARS PACA à l’été 2024.
Yann Bubien est par ailleurs président du GRAPH, think tank du secteur de la santé.
Sa très riche expérience en fait un expert influent du système de santé français.
Gilles Lagarde et Jean-Marie Martino

Quelle est la loi qui a été la plus marquante dans votre carrière ?
Il s’agit bien sûr de la loi hôpital, patients, santé, territoires de 2009, souvent dénommée « loi HPST » à laquelle j’ai participé au cabinet de la ministre de la santé et des sports, Roselyne Bachelot.
Tout d’abord, cette loi a fait quelque chose d’incroyablement novateur avec la création des Agences Régionales de Santé (ARS). Elle a également permis de médicaliser la gouvernance des hôpitaux et de faciliter les « coopérations » entre l’hôpital public et le secteur privé, qui sont aujourd’hui encore des axes phares de notre action sanitaire.
Au-delà des dispositifs qu’elle instaure, il s’agit sans conteste de la loi la plus ambitieuse en matière de santé des dernières décennies.
Elle est l’une des premières à prendre en compte l’ensemble des acteurs du système de santé, y compris les patients.
Après les conclusions de la commission présidée par Gérard Larcher, ce projet avait demandé d’importantes concertations et je garde aujourd’hui un souvenir prégnant de la force du travail commun qui nous a permis de moderniser l’ensemble du secteur de la santé et du médico-social.
Quel impact a-t-elle eu pour vous et dans votre organisation ?
En tant que directeur général d’ARS, je constate à quel point la création des ARS, il y a 15 ans, a permis de simplifier et d’unifier de façon inédite des services de l’État et de l’Assurance maladie, tout en conférant une autonomie très singulière à ces agences, leur permettant de jouer pleinement leur rôle d’accompagnement des acteurs sanitaires et médico-sociaux.
Notre système de santé souffrait de cloisonnement, parce que nous avons toujours considéré l’hôpital, la médecine de ville et le médico-social en silos séparés.
Il s’agissait donc, avec la loi HPST, de mettre fin à des ruptures entre des segments de la politique de santé sur le territoire, en vue de bâtir une politique de santé inclusive. Plus précisément, l’objectif consistait à mener une réflexion sur la prévention et la promotion de la santé, en en faisant le socle de nos politiques, avec notamment le volet santé-environnement que nous cherchons à développer.
Il fallait également compléter l’offre de soins, en ajoutant à l’offre hospitalière (publique, privée non lucrative et privée lucrative), l’offre de soins de ville, qui était alors plutôt isolée.
Enfin, il s’agissait de rajouter à toutes ces composantes la compétence État sur le volet médico-social, qui était, avant la création des ARS, placé sous la responsabilité des directions
régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS), ainsi que les compétences de veille sanitaire, qui étaient jusqu’à présent exercées par le préfet.
Dans la configuration précédente, les ARH coexistaient donc avec sept autres acteurs publics :
Les DRASS ;
Les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) ;
Les groupements régionaux de santé publique ;
Les maisons régionales de santé ;
L’assurance maladie ;
L’autorité préfectorale ;
Les collectivités territoriales.
De ces 8 institutions est née l’Agence Régionale de Santé. Celle-ci a donc permis de simplifier de façon remarquable le panorama sanitaire et médico-social et de renforcer l’expertise et les compétences en la matière sur les territoires.
Il reste encore à renforcer l’échelon départemental des ARS afin de les rendre les plus proches possibles des citoyens et des élus locaux, municipaux et départementaux.
Comment avez-vous conduit les changements impulsés par cette loi ?
J’ai pu concrètement mettre en œuvre les dispositions de la loi ayant trait à la gouvernance des hôpitaux publics, en tant que directeur général du CHU d’Angers puis en tant que directeur général du CHU de Bordeaux.
À Angers, j’ai pu former un véritable trio avec le président de la commission médicale d’établissement, le Pr Norbert Ifrah, et la Pr Isabelle Richard, doyen de médecine, lors de mes six années d’exercice. Si je portais l’ensemble des responsabilités juridiques en tant que chef d’établissement, nous avons pris l’ensemble des décisions en binôme, dans l’esprit de la loi et surtout du bon sens. Idem à Bordeaux, où j’ai pu exercer aux côtés du Pr Philippe Morlat puis du Pr Nicolas Grenier, ainsi qu’avec le Pr Pierre Dubus, doyen de médecine.
Contrairement aux nombreuses critiques suscitées par la loi HPST, les instances des hôpitaux ont pu être profondément renouvelées et modernisées, consacrant notamment un pouvoir élargi au directoire, au sein duquel siègent tout ou partie des chefs de pôle.
Si vous en aviez le pouvoir, quelle réforme de cette loi aimeriez-vous apporter aujourd’hui ?
La loi portait déjà une ambition forte sur les enjeux d’accès aux soins pour l’ensemble de la population, c’est d’ailleurs tout l’objet de son deuxième titre.
En effet, l’article 43, qui modifiait le code de la santé publique, avait déjà pour objectif de faire appel aux médecins généralistes des zones richement dotées à exercer dans les « déserts médicaux ». Techniquement, le directeur général de l’ARS aurait pu, après
consultations des acteurs concernés, proposer aux médecins d’adhérer à un contrat santé solidarité par lequel ils s’engagent à exercer dans les zones sous-dotées du territoire. Cette disposition n’a hélas jamais été appliquée.
Le fait que des propositions similaires soient aujourd’hui présentées par le gouvernement confirment que l’esprit de la loi HPST était résolument novateur et tourné vers l’avenir, avec pour objectif – et je m’y attelle quotidiennement en tant que DG d’ARS – de renforcer l’accès aux soins de l’ensemble de la population, sur tous les territoires.



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