L’exécution provisoire d’une peine complémentaire d’inéligibilité est contraire à l’Etat de droit
- La rédaction
- 9 juil.
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Juin 2025

La décision du Conseil constitutionnel n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025 M. Rachadi S. (Démission d’office d’un conseiller municipal ayant été condamné à une peine complémentaire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire), si attendue par la classe politique (et pas seulement par le Rassemblement National), a fait couler beaucoup d’encre.
Très attendue, cette décision l’était, parce nombreux étaient ceux qui pensaient que les sages du Palais-Royal, par la position qu’ils prendraient alors, allaient priver d’effet le jugement du juge pénal du tribunal judiciaire de Paris, en date du 31 mars 2025.
Celui-ci, pour mémoire, ajoutait à une peine de prison de 4 ans, dont 2 fermes aménagés sous bracelet électronique, et à une amende de 100.000€, une inéligibilité immédiate de cinq ans, compromettant la candidature de Marine Le Pen, à la présidentielle de 2027.
Comment pouvait-on imaginer priver la candidate adoubée, selon les sondages, par 30 à 35% des français, de représenter ceux-ci à l’élection cardinale de notre République et de diriger le pays, si elle parvenait à briser au second tour le plafond de verre qui, jusqu’à présent, (les dernières élections législatives l’ont encore démontré), font obstacle à l’arrivée au pouvoir du parti lepéniste ?
A l’appui de cette thèse courait, dans le landerneau politique, le bruit que la nomination de Richard Ferrand à la tête du Conseil constitutionnel, grâce à l’abstention opportune des députés du RN membres de la Commission des lois de l’Assemblée Nationale 1 , allait faire pencher les Sages de la rue de Montpensier, en faveur de la solution raisonnable ainsi résumée : un élu qui n’a pas été définitivement condamné par le juge pénal ne peut pas voir l’inéligibilité prononcée à son égard, être exécutée immédiatement, tant que celle-ci n’a pas été confirmée par le juge d’appel, et devenue définitive après le rejet de son éventuel pourvoi en cassation.
Naïvement, comme d’autres, je m’imaginais que cette vision du droit était consubstantielle à l’Etat de droit !
Rappelons ici que cette notion, d’origine allemande (Rechtsstaat), a été redéfinie au début du vingtième siècle par le juriste autrichien Hans Kelsen, comme un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée.
Une application stricte de ce principe voudrait qu’une sanction pénale complémentaire privant un citoyen de ses droits civiques, comme une peine d’inéligibilité, ne puisse pas être appliquée tant que les recours nationaux de droit commun (appel et cassation) n’ont pas été rejetés.
Il ne s’agit pas d’une question théorique, car il arrive qu’une peine complémentaire d’inéligibilité prononcée, assortie de l’exécution provisoire, et donc appliquée, soit annulée en appel ou par l’effet d’un arrêt de la Cour de cassation.
« Cette mesure est constitutive par elle-même d’une atteinte grave et immédiate au principe de la présomption d’innocence, élément non dissociable de l’État de droit. »
A cet égard, on rappellera que Brigitte Bareiges, ancienne élue LR, actuelle députée ciottiste de Tarn-et-Garonne, avait été déchue de ses mandats de maire de Montauban et de conseillère départementale, dans le cadre d’une obscure affaire d’emploi fictif d’un chargé de communication à la mairie, par un jugement pénal de première instance du 9 février 2021, avant d’être relaxée par un arrêt de cour d’appel du 14 décembre de la même année.
Pour rejeter la QPC formée devant lui par l’ancien élu mahorais, le Conseil constitutionnel a, après avoir jugé que les dispositions contestées n’étaient pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissaient ni le principe de libre administration des collectivités territoriales, ni le principe d’égalité devant la justice, ni en tout état de cause l’article 2 de la Constitution 2 et le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu’aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, les a déclarées, sous la réserve d’interprétation fondée sur le droit d’éligibilité énoncée au paragraphe 17, conformes à la Constitution.
Cette réserve d’interprétation dudit paragraphe 17 est ainsi rédigée: « Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 17893 , il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur. »
Dans la pratique, cette précaution d’usage, sous forme d’admonestation énoncée par le Conseil, a une portée quasi nulle, car elle ne saurait dissuader le juge pénal de première instance de
« retenir ses coups », s’il entend, pour des raisons qui ne sont pas toujours avouables, écarter de la vie politique locale ou même nationale tel(le) ou tel(e) élu(e).
Certes, comme le relève, dans un « au surplus », le Conseil, « l’intéressé peut former contre l’arrêté [préfectoral] prononçant la démission d’office une réclamation devant le tribunal administratif ainsi qu’un recours devant le Conseil d’État », …
« la jurisprudence constante du Conseil d’État [étant] que cette réclamation a pour effet de suspendre l’exécution de l’arrêté, sauf en cas de démission d’office notifiée à la suite d’une condamnation pénale définitive. »
Mais, je ne crois pas beaucoup à ce garde-fou : hormis l’intérêt somme toute appréciable de gagner du temps, ne pas confirmer l’exécution provisoire de déchéance du ou des mandats électifs en cours ou l’inéligibilité d’un candidat à une élection reviendrait pour le juge administratif à censurer une décision de justice rendue par un juge relevant d’un autre ordre de juridiction, ce qui serait « franchir le Rubicon ».
Quelle conclusion, dès lors, tirer de la récente décision du Conseil constitutionnel ?
Pour ma part, elle serait d’Inviter le législateur à revenir sur la loi qui permet au juge pénal d’assortir les peines complémentaires d’inéligibilité de l’exécution provisoire.
Et ce, pour une raison très simple : parce que cette mesure est constitutive par elle-même d’une atteinte grave et immédiate au principe de la présomption d’innocence, élément non dissociable de l’Etat de droit.
2 « La langue de la République est le français.
L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge.
L’hymne national est la “Marseillaise”.
La devise de la République est “Liberté, Egalité, Fraternité”.
Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
3 « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

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