Par Jean-Philippe Delbonnel

Les départements sont en première ligne dans la protection de l’enfance. Quels leviers concrets souhaitez-vous renforcer pour mieux soutenir les services de l’ASE et répondre à la hausse des besoins constatés sur le terrain ?
Plus de 10 milliards d’euros sont consacrés chaque année à l’aide sociale à l’enfance. Ce chiffre est significatif et illustre l’ampleur des besoins en matière de protection des enfants.
Il y a, à mon sens, deux enjeux fondamentaux :
Le premier, c’est celui de la prévention et du soutien à la parentalité. Plus nous agirons de façon précoce aux côtés des enfants et des parents, plus ou éviterons les placements. Cela passe par un accompagnement des familles dès la grossesse, durant les 1000 premiers jours de l’enfant car c’est là où tout commence, et au-delà.
Nous devons poursuivre et amplifier cette politique afin d’accompagner les parents et leur permettre de comprendre et répondre aux besoins fondamentaux de leur enfant en fonction de son âge.
Le second, c’est celui de la « désinstitutionalisation », en lien avec la nécessité de faire davantage pour la prévention que je viens d’évoquer. Nous devons, à chaque fois que cela est possible, avoir recours au tiers digne de confiance et à l’accueil durable et bénévole. La loi Taquet du 7 février 2022 a introduit la priorité à un placement auprès d’un proche, plutôt qu’à un placement dans un service départemental de l’ASE. Les enfants accueillis par un tiers digne de confiance ne représentent qu’environ 8% des mineurs protégés par l’ASE. Nous devons renforcer son statut et son accompagnement. Beaucoup de départements ont mené des campagnes de communication et de sensibilisation autour du tiers digne de confiance.
Ma conviction est que nous devons diversifier les solutions d’accueil à caractère familial pour permettre à chaque enfant de grandir dans un cadre stable. Cela passe également par un plan d’attractivité des métiers et je pense notamment au métier d’assistant familial, qui traverse une crise importante. Le cumul d’activité notamment pour les fonctionnaires, annoncé par la ministre Catherine VAUTRIN dans le cadre du futur projet de loi, constitue une réponse importante.
Comment envisagez-vous de renforcer la co-construction entre l’État et les collectivités afin de porter plus loin les politiques publiques en faveur de l’enfance ?
La co-construction entre l’État et les collectivités n’est pas un simple mot : c’est la clé pour que les politiques publiques passent du papier à la réalité sur le terrain. Les départements connaissent les enfants et leurs besoins mieux que quiconque ; l’État apporte cadre, moyens et vision globale.
Ensemble, nous devons créer un cercle vertueux où chaque initiative locale inspire l’action nationale, et où les décisions nationales s’adaptent aux réalités locales. Mon objectif est que l’État et les départements ne marchent plus côte à côte, mais main dans la main. Chaque enfant doit sentir que sa protection et son bien-être sont soutenus de manière coordonnée et efficace, quelle que soit sa région.
La co-construction n’est pas un luxe : c’est la condition pour des politiques publiques qui fonctionnent vraiment.
C’est toute l’ambition du GIP France Enfance Protégée, qui réunit les départements, l’État et les associations. Il permet de mettre autour de la table l’ensemble des acteurs clés afin de trouver des réponses au plus près des réalités du terrain, en partant des besoins des enfants.

Vous êtes engagée contre la tendance no kids qui se développe dans certains espaces publics. Quelles mesures concrètes proposez-vous pour faire évoluer les mentalités et construire des villes et départements véritablement “à hauteur d’enfants”
Le phénomène « no kids » est révélateur d’une société qui oublie parfois ses plus jeunes citoyens : exclure les enfants, même implicitement, c’est les rendre invisibles. Pour y remédier, il faut agir sur trois fronts : sensibilisation, aménagement et régulation. Les élus départementaux sont nos alliés dans ce combat !
D’abord, il s’agit de changer les mentalités : rappeler que les enfants ne sont pas des intrus, mais des acteurs à part entière de la vie sociale. Les campagnes de sensibilisation, la formation des agents publics et des responsables de lieux privés sont essentielles pour que chaque espace devienne naturellement inclusif. En ce sens, j’ai lancé Le choix des familles : une plateforme permettant de recenser les espaces vertueux avec les enfants, dont nous annoncerons les lauréats d’ici la fin de l’année. Le choix des familles sera le Michelin des enfants, dans tous les territoires !
Ensuite, penser la ville à hauteur d’enfant doit devenir une norme. Aires de jeux, mobilités douces, accès à la culture, aux loisirs et aux services : chaque aménagement urbain doit prendre en compte la présence des enfants. Une ville qui ne mesure pas la hauteur d’un enfant est une ville qui oublie son avenir.
Enfin, la régulation et la planification peuvent soutenir cette transformation : intégrer les besoins des enfants dans les marchés publics, les permis d’exploitation et les plans locaux d’urbanisme permet de structurer concrètement cette inclusion. Construire des villes et départements véritablement « à hauteur d’enfant » n’est pas seulement un défi d’urbanisme : c’est un choix de société. Les enfants doivent être visibles, entendus et pris en compte partout où ils vivent et grandissent. Une société qui bannit le « no kids » est une société qui mise sur l’avenir.
De nombreux départements innovent pour créer un environnement protecteur et bienveillant pour les enfants. Quelles initiatives locales vous paraissent particulièrement inspirantes et susceptibles d’être généralisées à l’échelle nationale ?
Nous devons à chaque fois penser à l’intérêt de l’enfant. C’est la raison pour laquelle il existe, à l’échelle des territoires, un certain nombre de dispositifs innovants qui répondent à ses besoins.
J’étais, il y a quelques jours, dans un village d’enfants de la fondation Action Enfance en Seine-et-Marne.
Il s’agit d’un modèle protecteur, puisque ces villages accueillent principalement des fratries et évitent des ruptures supplémentaires, selon un modèle de type familial en maisons ou en appartements d’habitation. Je crois profondément aux dispositifs à taille humaine.
Les éducateurs et aides familiaux mènent un travail remarquable, dans un cadre bienveillant à taille humaine. Les enfants et les jeunes apprennent à vivre ensemble et sont acteurs de la vie à l’intérieur de la maison : ils aident à élaborer et préparer les repas avec l’éducateur et participent à l’organisation des activités, en discutant collectivement.
La participation des enfants et des jeunes dans les décisions qui les concernent est le fil rouge de mon action et j’entends valoriser le travail des associations et fondations qui en font une priorité.
L’accueil de type familial me semble être un dispositif qui répond au bien-être de l’enfant, ce qui n’exclut évidemment pas les autres cadres plus collectifs. Mon seul enjeu, c’est de partir de ses besoins fondamentaux.





