Départements : demain nous appartient !
- La rédaction
- 8 oct.
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Dernière mise à jour : 9 oct.
Par Jean-Luc Bœuf
Et si l’avenir des départements ne dépendait pas des réformes, attendues, venues « d’en haut », mais plutôt de leur capacité à se réinventer eux-mêmes ? Depuis le début des années 2000, Jean-Luc Bœuf a été, entre autres postes, directeur général des services de département à cinq reprises : dans l’Eure, dans le Val d’Oise, dans les Bouches-du-Rhône, dans la Drôme et dans la Marne. Son analyse et sa vision, à la veille des prochaines Assises 2025 des départements.
« Décentralisation, évolution du paysage institutionnel local et des relations financières avec l'Etat : la liste des sujets qui fâchent, abordés [lors des Assises] des départements de France et auxquels le nouveau ministre devra répondre, est copieuse. (…) Comble du paradoxe, le lien de dépendance vis-à-vis de l'Etat se renforce alors que la commission (…) planche (…) sur la relance de la décentralisation. Avec un maître-mot pour les membres de cette instance : renforcer l'autonomie fiscale des collectivités locales en spécialisant l'impôt. L'idée, par exemple, de voir les départements, essentiellement chargés de la politique d'action sociale, voter une partie de la CSG, fait son chemin. » S’agit-il de la plaquette de présentation du programme des Assises 2025 de Départements de France dans le Tarn ? Que nenni ! Il s’agit d’un extrait des Echos du… 20 septembre 2000, à la veille du congrès des conseils généraux, en Moselle.
Piliers historiques de la République territoriale, les conseils départementaux se heurtent désormais à un étranglement de leurs finances et à l'enserrement de leurs compétences. Aujourd’hui, les budgets des départements sont sous tension avec la quasi-disparition de la fiscalité locale, d’une part, et l’effet ciseaux des dépenses sociales, d’autre part. En vingt-cinq ans, les départements ont ainsi perdu une partie de leur liberté. Pourtant, ils gardent un ancrage unique dans les territoires. Demain, ils vont devoir se réinventer.
Depuis 2000, les départements ont vu s’éroder petit à petit leur autonomie et diminuer leurs marges de manœuvre. Leurs budgets sont désormais dominés par les dépenses sociales obligatoires dont les revalorisations leur sont imposées sans compensation. La suppression de la vignette automobile, au début des années 2000, puis de la taxe foncière départementale, à la fin des années 2000, les a privés de leurs leviers fiscaux.

Quant à la fin de la clause générale de compétence en 2015, elle a réduit encore leur champ d’actions et sonné le glas de leur autonomie territoriale. Le point d’arrivée est sans appel puisque, désormais, plus des deux tiers de leurs recettes dépendent de transferts d’État. Ce que ce dernier ne manque pas de leur rappeler à satiété pour leur demander... davantage de rigueur.
Heureusement, seul échelon encore fondé sur la représentation cantonale directe, le département est, en 2025 comme en 2000, la collectivité de la proximité fine. Il garde (pour combien de temps ?) ses quatre piliers historiques formés par les solidarités, les routes, les collèges et le soutien aux investissements des communes.
Depuis 2015, la vie politique départementale a basculé avec l’instauration du scrutin binominal. Et les conseils départementaux sont des assemblées intégralement paritaires. Mais leur liberté d’action se réduit encore, notamment à coup de recommandations, voire davantage, des chambres régionales des comptes à chaque contrôle et à chaque mandature législative. Les départements agissent donc toujours, mais dans un espace de plus en plus étroit. Car force est de constater que, gouvernement après gouvernement, la tentation jacobine l’emporte (presque) toujours. Elle prend le plus souvent la forme de circulaires et de décrets (merci le pouvoir réglementaire régalien !) discrètement publiés dans les interstices

de la vie politique nationale, parfois même durant des échéances électorales qui détournent, plus ou moins subtilement, l’attention de l’opinion mais pas des présidents de département. Au réveil, c’est une énième charge non compensée.
Dès lors, quelles pistes pour demain ? Disons-le tout net : refusons de (re)poser sur la table des scénarios qui ont, tous ou presque, été imaginés par les travaux parlementaires, les think tanks, les écuries présidentielles et autres commissions. Partons plutôt des attentes de celui que l’on nommera le « quarteron ». Le quarteron, c’est cet individu qui est tour à tour contribuable, usager, électeur et citoyen. Le quarteron, c’est chacune et chacun d’entre nous à différents moments. Regardons ce que peut bien nous dire ce quarteron sur les départements.
Si les améliorations de la relation à l'usager ont été particulièrement significatives dans les départements ces 25 dernières années, le contribuable est quant à lui difficilement sensible aux débats sans fin sur l’autonomie fiscale ou financière. Il demande juste que « son » argent soit utilisé à bon escient. Dans les départements, il s’agirait dès lors de s’emparer pleinement, et positivement, des obligations de l’ordonnance de 2022 relative au régime de responsabilité des gestionnaires. Cela permettrait au passage des relations de travail apaisées, sous le signe de la confiance élus - services, notamment dans l’analyse des demandes, forcément toujours urgentes, qui peuvent être formulées par les exécutifs ; demandes qui peuvent même parfois flirter avec la légalité et mettre les services dans l'embarras, au regard des contraintes juridiques, lorsque la responsabilité sera mise en oeuvre.
L’électeur donne sa confiance une fois tous les six ans. Mais entre les deux ? Pourquoi ne pas porter une réforme du fonctionnement des assemblées plénières et des commissions permanentes ? Et, surtout, du « bureau », en formalisant ses missions. Les décisions qui engagent la collectivité seraient alors précédées de véritables débats internes. Le spectateur des séances aurait dès lors moins le sentiment de se trouver face à des chambres d'enregistrement, aseptisées, dont les décisions principales ont au demeurant déjà été actées dans un cénacle politique très étroit.
Quant au citoyen, toutes les remontées de terrain le démontrent, il demande de la sobriété. Que peut-il alors penser des réunions « officielles » et du balai quasi ministériel des voitures sombres et autres cocardes tricolores, illégales au demeurant pour les élus départementaux ?
Ecouter le citoyen, gérer avec sobriété pour le contribuable, rester dans ses compétences pour que l’usager s’y retrouve, renforcer vraiment pour l’électeur la démocratie interne, modifier la relation élus - services. Ces pistes de réforme internes éviteront peut-être aux départements demain d'être (complètement) transformés en (simples) agences de l'Etat, voire d’un quarteron de collectivités en retraite…

« En vingt-cinq ans, les départements ont perdu une partie de leur liberté, mais ils gardent un ancrage unique dans les territoires. Demain, ils vont devoir se réinventer. » — Jean-Luc Bœuf



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