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Affaire des masques :Et si le Conseil d’Etat sifflait la fin de la partie?

  • La rédaction
  • 29 oct.
  • 6 min de lecture

JDD n°49 - Novembre 2025


Bernard de Froment - Ancien député et Président du conseil départemental de la Creuse, Avocat spécialisé en droit public associé du cabinet Publica-Avocats
Bernard de Froment - Ancien député et Président du conseil départemental de la Creuse, Avocat spécialisé en droit public associé du cabinet Publica-Avocats

Aux termes de l’article L.1240 du Code civil : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »


Mais jusqu’à la fin du XIX e  siècle, l’irresponsabilité de la puissance publique était pourtant le principe.


Les seules exceptions à ce principe hérité de l’Ancien Régime, selon lequel « Le roi ne peut mal faire » concernaient les cas où une loi en décidait expressément ainsi : c’était par exemple le cas des dommages causés aux bâtiments par les travaux publics.


La possibilité d’obtenir réparation des dommages n’était ouverte que par le recours gracieux, c’est-à-dire l’appel à la bonne volonté des dirigeants.


Mais l’arrêt Blanco, rendu par le Tribunal des conflits le 8 février 1873 (n°00012 publié au Recueil Lebon et aux G.A.J.A.), est venu pour la première fois reconnaître une responsabilité de principe des personnes publiques, en l’assortissant, cependant, des précisions suivantes, toujours d’actualité :


« Considérant que la responsabilité, qui peut incomber à l’Etat, pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier à particulier.


Que cette responsabilité n’est ni générale, ni absolue ; qu’elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits privés.

Que, dès lors, aux termes des lois ci-dessus visées, l’autorité administrative est seule compétente pour en connaître »


Depuis 1873, la jurisprudence administrative n’a pas cessé de se développer en précisant les cas et les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’Etat et des autres personnes publiques pouvait être engagée et donner lieu à indemnisation.


Le but de la présente chronique n’est naturellement pas de dresser l’historique de cette évolution, ni d’énumérer les cas retenus de responsabilité pour faute (le cas général) ou sans faute, l’exception (telle la responsabilité du fait des lois 1 )


On se bornera à indiquer que dans tous les cas de responsabilité administrative, le justiciable devra démontrer le préjudice et le lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice.


Si j’ai choisi d’évoquer cette responsabilité des personnes publiques dans la survenance d’un dommage, c’est parce que l’actualité, les récentes décisions du Conseil d’Etat (Décisions n° 489593, 489594, 489596, 489597, 489962 du 16 octobre 2025), démontrent que la plus haute juridiction administrative sait se montrer rigoureuse face aux justiciables qui entendent à tout prix rendre responsable l’Etat ou les autres personnes publiques des préjudices qu’ils subissent.



1 La responsabilité de l’État peut être reconnue en cas de rupture de l’égalité devant les charges publiques. C’est la décision du Conseil d’État du 14 janvier 1938, 

“ Société La Fleurette ” qui reconnaît pour la première fois cette responsabilité étatique. En effet, l’interdiction de la gradine, (ersatz de crème) a fait peser une charge reconnue comme grave et spéciale sur la société à cause de l’État, lequel doit donc l’indemniser.  Il s’agissait, en effet, pour l’entreprise d’une charge anormale, en raison de ses conséquences économiques graves, la gradine étant le seul produit que cette société fabriquait.



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Comme si devait exister un principe selon lequel la maladie ou la mort de personnes proches (conjoint, enfant, parent,…) auraient dû pouvoir être évitées par les pouvoirs publics !


Nos concitoyens, en effet, qui n’ont jamais dans leur comportement personnel été aussi individualistes, se montrent tout autant enclins à exiger de l’Etat une protection démesurée, que celui-ci ne peut plus leur accorder sans creuser davantage les déficits et augmenter la dette extérieure du pays : le débat actuel sur la suspension de la réforme des retraites ou celui sur les franchises en matière de remboursement des frais de santé en sont, entre autres indices, l’illustration.


Les décisions du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 16 octobre dernier s’inscrivent dans ce contexte d’une exigence sociale toujours plus grande face aux accidents de la vie ou aux impondérables.


Voici des extraits du communiqué de presse publié par la haute juridiction administrative dans cette « affaire des masques » :


« Saisi par des proches de personnes décédées de la covid-19 qui demandaient à être indemnisés par l’État, ( … ), le Conseil d’État précise aujourd’hui les obligations qui incombent à l’État en matière de préparation et de réponse aux alertes et crises sanitaires.

La loi confie en effet à l’État – conformément à l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé – une mission de préparation aux alertes et crises sanitaires, qui consiste à assurer une veille sur les risques sanitaires graves susceptibles de menacer la population et, afin de prévenir et limiter les effets sur la santé des différentes menaces possibles, de définir, en l’état des connaissances et au regard des moyens dont il dispose ou auxquels il peut faire appel, les mesures destinées à s’y préparer. Elle lui confie également une mission de gestion de ces alertes et crises, qui consiste, en cas d’alerte ou de crise sanitaire, à prendre les mesures appropriées aux circonstances de temps et de lieux pour la protection de la population et la prise en charge des victimes.

(…)

Dans le cas de la pandémie de covid-19, s’agissant de la préparation à la crise, le Conseil d’État relève que l’État a identifié dès 2004 le risque d’émergence d’un agent respiratoire hautement pathogène, qu’il a élaboré, à compter de cette date, une doctrine de constitution et d’utilisation de plusieurs niveaux de stock de masques qui a été régulièrement réévaluée et a notamment tenu compte des enseignements de la gestion de l’épisode de grippe A (H1N1) survenu en 2009 et des recommandations du Haut Conseil de la santé publique, et qu’il a constitué un stock stratégique national de 100 millions de masques chirurgicaux destinés aux personnes malades, à leur entourage, les employeurs privés et publics, y compris les établissements de santé et médico-sociaux, étant responsables de la constitution de stocks de masques pour leur personnel. Le Conseil d’État juge qu’une telle préparation à la crise ne traduit pas de faute. Le fait d’avoir pu constater, a posteriori, que le nombre de masques disponibles au sein du stock national s’était révélé insuffisant pour répondre aux besoins de protection de toute la population ne conduit pas à retenir que l’État aurait manqué à ses obligations légales en matière de préparation aux crises sanitaires susceptibles de 

survenir. »


A propos de la communication gouvernementale et de l’adaptation des mesures à la situation constatée en France, le communiqué ajoute :


« S’agissant de la réponse à la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19, le Conseil d’État relève d’abord que la communication en deux temps des autorités publiques, qui a consisté, entre fin février et fin mars 2020, à préconiser que le port du masque soit réservé en priorité aux personnes symptomatiques et aux professionnels de santé, puis, à partir de début avril 2020, à inciter le grand public à porter des masques « alternatifs », était cohérente avec les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, du Haut Conseil de la santé publique et des sociétés savantes et adaptée au contexte de pénurie mondiale de masques.


Le Conseil d’État observe ensuite que des commandes massives de masques ont été effectuées par Santé Publique France dès la fin du mois de février 2020, complétées par des réquisitions auprès des personnes morales de droit public et privé, et que le choix de distribuer ces masques en priorité aux professionnels de santé et aux établissements de santé était cohérent avec les recommandations scientifiques. Il estime enfin que des mesures ont été rapidement prises pour faciliter la production de solutions hydroalcooliques, que la stratégie de dépistage retenue était adaptée aux difficultés d’approvisionnement en réactifs chimiques et que la situation constatée en France avant le 16 mars 2020, eu égard au nombre de contaminations et au nombre de patients hospitalisés, ne justifiait pas de prendre, avant cette date, une mesure de confinement généralisé de la population.


Il en déduit que l’État a aussi respecté ses obligations légales en matière de réponse aux alertes et crises sanitaires.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil d’État juge que les conditions de l’indemnisation de fautes qui auraient été commises par l’État dans la mise en œuvre de sa mission de préparation ou de réponse aux alertes et crises sanitaires ne sont pas remplies. »


Les 4 décisions du Conseil d’Etat, commentées par la haute juridiction elle-même, ont le mérite de donner un avertissement à tous ceux qui souhaitent voir reconnaître toujours plus largement la responsabilité de l’Etat et des personnes publiques dans la survenance des préjudices qu’ils subissent.


En sifflant la fin de la partie dans « l’affaire des masques », la haute juridiction administrative, et c’est tant mieux, a ainsi démontré que « l’Etat-providence » a des limites.

 

Bernard de Froment



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