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Emmanuel Faivre, Directeur général des Services du Doubs

  • La rédaction
  • 9 juil.
  • 6 min de lecture

Propos recueillis par William Chancerelle - Juin 225


Emmanuel Faivre, Directeur général                                des Services du Doubs
Emmanuel Faivre, Directeur général  des Services du Doubs

Emmanuel Faivre est directeur général des services du Conseil départemental du Doubs depuis 2022 auprès de la présidente Christine Bouquin. Docteur en géographie, il s’est orienté vers les collectivités territoriales auprès d’Yves Krattinger en Haute-Saône en 2005.


De cette expérience, il a tiré la conviction que la décentralisation est l’avenir de la France. Il prône même la mise en place d’un système fédéraliste comme il le décrit dans son ouvrage « Débloquer la France » paru aux éditions Atlande en 2025. Il nous en livre les grands principes et les actions concrètes.

 

Votre ouvrage part du constat d’une décentralisation inachevée, voire à l’arrêt…


De 1982 à 2010, la décentralisation a véritablement transformé la France. Cela s’est incarné dans des actes concrets tels que la création des intercommunalités instaurées par la loi Chevènement.

Jusqu’en 2010, cette politique a structuré le pays, réveillé la ruralité, permis l’émergence d’une ingénierie territoriale. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’état des collèges avant et après leur reprise par les Conseils départementaux… Mais depuis 2010, on constate un véritable point d’inflexion. La décentralisation et ses vertus ont alors commencé à décliner.


D’années en années, les choses se sont dégradées à tel point qu’aujourd’hui, si on ne réagit pas, c’est la chronique d’une mort annoncée pour la décentralisation. Les deux années qui viennent de s’écouler confortent ce pronostic pessimiste. Voir Bercy accuser les collectivités territoriales de mauvaise gestion montre que le danger est bien réel pour elles.


À qui en incombe la faute, selon vous ?


Notre pays est historiquement très centralisé. De Napoléon à De Gaulle, la capacité de la France à se structurer et à s’unifier a été exceptionnelle. Mais notre dispositif centralisateur n’est plus à jour,

alors même que les fourches jacobines sont toujours très présentes dans l’administration et dans les appareils politiques. À mon sens, les grands centralisateurs de notre temps sont les principaux médias et les grands partis politiques, dopés à la présidentielle.


Pouvez-vous revenir sur ce point d’inflexion que vous situez en 2010 ?


L’inflexion se situe principalement à deux niveaux. D’une part, on ne peut que constater le tarissement de l’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales. Je prends l’exemple du Doubs que je connais bien. Il y a dix ans, le levier fiscal représentait 30 % de notre budget départemental. Aujourd’hui il n’est plus que de 1,7 % ! Cette perte d’autonomie fiscale est très déresponsabilisante pour les collectivités et leurs élus. À ce titre, la fin de la taxe professionnelle sous Nicolas Sarkozy marque le début de la catastrophe.


 “Les grands centralisateurs de notre temps sont les principaux médias et les grands partis politiques, dopés à la présidentielle”

Second point : l’État considère de plus en plus les collectivités comme des agences destinées à mettre en œuvre ses politiques. En ce sens, la loi NOTRe a été un point de bascule, car les départements se sont sentis tout à coup  illégitimes sur beaucoup de sujets. 


Les collectivités ne participent plus à la rédaction des lois. Une fois celles-ci votées, Paris considère qu’il faut juste les mettre en œuvre. Je prends l’exemple de la dernière expérimentation du RSA où le gouvernement n’a même pas attendu la fin de l’expérimentation pour le généraliser !


La loi NOTRe, je l’ai vécue de l’intérieur auprès d’Yves Krattinger, et je peux témoigner que le résultat n’est pas du tout celui qu’il avait imaginé en 2012. Je me souviendrai toujours de cette phrase d’André Vallini, alors ministre des collectivités territoriales : « Il faut dévitaliser les Départements ».


Quelles perspectives imaginez-vous pour les Départements si rien n’est fait pour dévier cette trajectoire ?


Sur le plan financier, nous risquons l’impasse et le mur. Et dans ce cas, sur le plan politique, je ne vois pas comment on échappe à une vague populiste. Dans le pire scénario, je vois une disparition des Départements pour cause d’asphyxie financière et des Régions conquises par les extrêmes. Tout cela aura un effet domino dévastateur pour les compétences de solidarités.


Face à ce constat, vous invoquez le fédéralisme comme recours souhaitable. Pourquoi ?


Si je devais synthétiser les quatre maux de la France, je dirais : centralisme, asservissement, concurrence généralisée, autoritarisme de l’État. Parallèlement, si je regarde les quatre piliers du système fédéral que sont la subsidiarité, l’autonomie, la solidarité, la recherche de consensus, je vois des termes quasiment en miroir et qui semblent se répondre. La subsidiarité, c’est ce qui se fait au plus proche du terrain. La solidarité, c’est la mise en place de péréquations horizontales et verticales.


La recherche de consensus, c’est le contraire des débats actuels à l’Assemblée nationale…

Je me souviens du congrès de Départements de France à Strasbourg en 2023 durant lequel le président Bierry avait fait venir des élus allemands et suisses. Les Allemands nous parlent alors d’une maternité alsacienne qui devait fermer et qu’ils ont aidé à maintenir au nom de l’intérêt général. Ils ont décidé ce maintien et cette aide en trois mois, là où la France l’aurait décidé en trois ans. Face à ce témoignage, je me souviens d’une salle à la fois envieuse et désabusée. Nous avions le sentiment de courir le 100 m avec un boulet au pied.


En étudiant le système fédéral, je me suis rendu compte que pas une université, pas un laboratoire français n’étudie les systèmes fédéraux, alors que 2 milliards d’humains vivent dans un système fédéral ! Le vrai problème français vient du partage des pouvoirs et du fait que les collectivités territoriales ne participent pas à la construction de la loi. D’où mon recours au fédéralisme.


Le vrai problème français vient du partage des pouvoirs et du fait que les collectivités territoriales ne participent pas à la construction de la loi

Quel fédéralisme ? 


Je suis pour un État fort, mais pour tout ce qui a trait à l’action du quotidien, je crois en la maille départementale. Tout d’abord parce qu’un Département n’a pas la force de faire sécession, contrairement à une Région. Je suis pour un fédéralisme départemental et d’action. L’État doit rester fort sur la santé, l’éducation nationale, la défense, la sécurité et la justice.


Dans mon livre, j’affirme dix principes fort à mettre en débat auprès des citoyens. Sur la dimension institutionnelle, je prône un Etat fort sur la partie régalienne, et la création de départements « nouvelle formule ». J’imagine ainsi le département comme la fédération des communautés de communes. Le bloc fédéral serait ainsi constitué des communes, des intercommunalités et des départements. Entre ce bloc fédéral et l’État, je garde des métropoles et je supprime les régions.


Une grande partie des missions des régions peuvent en effet revenir aux départements nouvelle formule et tous les schémas sont déjà copilotés avec l’État. Il est fondamental de confier la planification à l’État.


À cela, j’ajoute qu’il faut pousser les Départements à faire beaucoup plus d’interdépartementalité. Sur la dimension élective, je vois deux temps forts : d’une part les élections présidentielles et législatives, et d’autre part les élections territoriales qui se dérouleraient le même jour. Nous élisons les conseillers municipaux ainsi que les présidents d’intercommunalités au suffrage universel direct.


Ceux-ci deviennent conseillers départementaux. Le jeudi suivant, lors de l’élection du président du Conseil départemental, un ou deux élus départementaux sont élus sénateurs. Dès lors, le Sénat n’est plus un objet à part, mais il devient l’émanation du bloc départemental. Ainsi pour toutes les lois, touchant aux collectivités territoriales, le Sénat devra avoir le dernier mot.


Je suis pour un fédéralisme départemental et d’action

C’est un véritable changement de paradigme que vous 

proposez ?


En effet, soit on renverse la table, soit les collectivités territoriales sont menacées de disparition. Si on veut les sauver, on ne peut pas y aller par retouches ou par dose homéopathique. Le constat que je fais est partagé par de nombreux élus et dirigeants territoriaux. Sur la solution que je propose, je suis surpris, car je me rends compte que peu de gens connaissent le fédéralisme. J’ai la chance d’avoir une présidente qui connaît bien ce sujet car elle travaille depuis trente ans avec la Suisse.


Quand on prend le temps d’expliquer les principes du fédéralisme, notamment la place de la subsidiarité, on capte l’intérêt des gens. Cela est encore plus vrai dans les milieux économiques qui, dans leur organisation interne, retrouvent les valeurs du fédéralisme. Ici, dans le Doubs, nous essayons de penser les politiques départementales en fédérant les communautés de communes. Je veux rendre hommage à ma présidente Christine Bouquin qui est ouverte à ces idées et met en œuvre certaines d’entre elles au quotidien.


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