Interview de Pascal Rothé, Directeur régional des finances publiques Auvergne-Rhône-Alpes et département di Rhône
- La rédaction
- 3 sept.
- 7 min de lecture
JDD - Septembre 2025
Réforme de la haute fonction publique : ouverture, mobilité et enjeux des finances publiques par Gilles Lagarde et Jean-Marie Martino

Pour notre deuxième édition de cette rubrique qui s’intéresse aux impacts pour les dirigeants des textes législatifs et réglementaires, nous avons interrogé Pascal Rothé, directeur régional des Finances publiques Auvergne-Rhône-Alpes et département du Rhône.
Entré dans la fonction publique d’État en 1982, après quatre années comme enseignant à l’Ecole nationale des services du trésor, il a exercé une mission d’inspection principale dans le 89, puis de directeur adjoint (« fondé de pouvoir » de trésoriers payeurs généraux -TPG-) dans le 39, le 77 et le 59. Il a également exercé en administration centrale , au sein de l’ex Direction générale de la comptabilité publique (DGCP), aux côtés de Jean Bassères, notamment sur des sujets tenant aux emplois et au réseau de la DGCP.
Après la fusion en 2008 des ex DGI et DGCP, constituant la nouvelle Direction générale des Finances publiques (DGFiP), il a été nommé administrateur d’État (AE) en Côte d’Or, puis TPG dans les Hauts de Seine, puis administrateur général des finances publiques (AGFiP) lors de la suppression du corps des TPG. Il a alors exercé les fonctions de directeur régional des finances publiques (DRFiP) Outre-mer en Guadeloupe- St Martin- St Barthélemy, puis en métropole DDFiP dans le Var et désormais, depuis 2022 DRFiP dans le Rhône à Lyon.

GL et JMM : Quelle est la loi qui a été la plus marquante dans votre carrière ?
Pascal Rothé : Il y a certes de nombreuses lois qui mériteraient commentaires, mais j’ai souhaité m’intéresser à une ordonnance, celle du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique d’Etat.
Cette ordonnance a introduit un bouleversement historique - depuis celle de 1945 voulue par la Général de Gaulle - dans l’organisation de la haute administration française d’État. Elle a notamment remis en cause la logique des corps et l’indépendance des inspections générales.
La suppression de l’ENA au profit de l’INSP est un autre marqueur notoire de cette réforme de fond, dont la recherche d’une grande mobilité fonctionnelle (voire géographique?) est un autre axe majeur.
L’ordonnance de 2021 ne cesse de recomposer le paysage administratif de la haute fonction publique d’Etat, ouvre de nouvelles perspectives et pose des questions quant aux avantages qu’elle a vocation à induire dans le long terme.
Quel impact cette ordonnance a-t-elle eu pour vous et votre organisation ?
En tant que directeur territorial depuis maintenant 14 ans, en outre mer et en métropole, j’observe une plus grande mixité des parcours avec une ouverture accrue aux cadres supérieurs issus des autres administrations, bien plus encore qu’à l’époque de l’ex DGCP, dont la fonction sommitale en territoriale (TPGD ou TPGR) attirait pourtant déjà de nombreux hauts fonctionnaires. Il faut dire à cet égard que le régime spécifique très confortable de rémunération de ces derniers était alors quasiment sans égal.
Le changement du mode désignation des numéros un, départementaux et régionaux , avec une pré sélection interne, puis un oral devant une commission multipartite (a minima inter directionnelle), a introduit à la DGFiP un élément de saine mise en concurrence avec des candidats de tous horizons ministériels.
C’est aussi dans la durée, un défi personnel, une remise en question à chacune des échéances de sélection, désormais tous les trois ou six ans, selon que le contrat triennal sur chaque emploi fonctionnel est renouvelé ou pas. Et en toute hypothèse l’exigence de mobilité au terme de ces périodes est un élément radicalement nouveau dans l’approche individuelle des carrières.
Singulièrement, la mise en œuvre de la réforme a permis une plus grande ouverture sur les autres administrations et donc leurs métiers propres, avec l’arrivée de cadres supérieurs aux parcours et à la formation variés, dépassant les filières d’origine des deux ex directions générales à l’origine de la DGFiP.
Le phénomène inverse s’est toutefois révélé beaucoup plus limité quantitativement : ainsi par exemple, un seul AE de la DGFiP, issu de l’ex DGCP a été nommé Préfet à ce jour (aucun issu de l’ex DGI). Le temps devrait permettre de corriger ce décalage .
Comment vivez vous les changements impulsés par cette ordonnance ?
L’obligation de mobilité fonctionnelle qui est faite par le texte aux AE (cadres dirigeants et assimilés) exerçant des missions sur des emplois fonctionnels, est un élément structurant des carrières désormais. Elle conduit les intéressés à repenser leur carrière et leur trajectoire de vie. La logique de « filière » ou de carrière linéaire permettant au sein d’une même grande administration d’État, de réaliser une ascension « prévisible » sur le long terme est désormais proscrite.
« Cette ordonnance a introduit un bouleversement historique - depuis celle de 1945 voulue par la Général de Gaulle - dans l’organisation de la haute administration française d’État. »
Cela doit conduire à repenser également les mécanismes d’adaptation à l’emploi. La défiliarisation (à la différence de la possibilité antérieurement offerte au sein d’une même direction de faire dans ceratins cas le même métier ou un métier similaire durant toute sa carrière) est un élément imposant de renforcer la formation continue de ces cadres, pour une adaptation plus rapide à leurs nouvelles fonctions, sensément radicalement différentes d’une affectation à une autre dans l’exemple d’une mobilité interministérielle notamment. C’est une condition forte de la qualité du pilotage des administrations, elle-même gage de l’efficacité voire de l’efficience de la mise en œuvre des politiques publiques.
Cela pose également la question de l’arbitrage entre le degré de maîtrise du management stratégique et l’acquisition de connaissances de base ou au moins de principe, à chaque changement de métier, sauf à être totalement hors sol et déconnecté des réalités et problématiques métiers.
Ces dernières, quelle que vertueuse qu’ait pu être la philosophie nouvelle introduite par l’ordonnance (mobilité fonctionnelle, échanges, ouverture, etc), n’en demeurent pas moins des fondamentaux de l’exercice des missions. Le contrôle fiscal, tout comme l’urbanisme, l’hydrogologie, la gestion des étrangers, ou tout autre mission des services de l’État (ATE et hors ATE), ne s’invente pas.
L’efficacité de l’action publique et du pilotage des réseaux administratifs de l’État dépend pour une large part de cet équilibre nouveau à repenser entre appréhension des volets stratégiques et maîtrise minimale de leurs composantes techniques.
Par ailleurs, depuis la mise en œuvre de l’ordonnance, les voies d’accès aux fonctions d’Administrateur d’Etat dans les directions territoriales sont ouvertes et variées (sortie d’INSP, ou tour extérieur AE) et avec la mobilité par la suite, elles assurent une richesse des points de vue, des compétences, une réelle ouverture globalement bénéfique. Encore faut-il être capable, dans la durée, d’assurer des perspectives d’évolution de carrière attractives.

Il est difficile à ce stade de maturité du dispositif, de porter un jugement éclairé sur ce point, mais c’est assurément un aspect délicat au regard des débouchés potentiels et de la tentation déjà observée dans les grandes administrations de préférer une endogamie contraire aux objectifs de la réforme et de n’offrir que peu d’accompagnement personnalisé des candidats à la mobilité (pourtant exigée par les textes).
La mobilité fonctionnelle est en général assortie d’une mobilité géographique parfois lourde de conséquences personnelles qui ne sauraient être passées sous silence mais sont souvent peu ou pas compensées.
Il y a là assurément un levier, certes prosaïque mais déterminant, à actionner davantage pour donner à la réforme sa plénitude.
Si vous en aviez le pouvoir, quelle réforme de cette ordonnance aimeriez-vous apporter aujourd’hui ?
Les ambitions de l’ordonnance étaient grandes. Il s’agissait de passer d’une logique de carrières fondée sur les métiers et les compétences et non plus sur les corps.
À cet égard, je ne me prononcerai pas sur la suppression des « grands corps » encore que l’on sait l’attachement de leurs « anciens » membres au statut et à l’image que conférait l’appartenance à tel ou tel d’entre eux. Combien de fois m’a-t-il été donné de constater que me présenter à des élus comme ayant été TPG était à leurs yeux bien plus parlant que DRFiP et a fortiori administrateur d’État exerçant des fonctions de directeur régional !
Il demeure que la globalisation des métiers au sein de ce vaste corps des administrateurs d’Etat, certes destiné à fluidifier et dynamiser la fonction publique, reste dans bien des cas, perçue comme une banalisation, ce qui ne constitue pas un critère d’attractivité de premier ordre.
Au-delà de ces tempéraments, il demeure que ce nouveau cadre constitue désormais le quotidien des cadres de la haute fonction publique d’État et il convient d’en tirer le meilleur, à tous les stades, avec un concept de carrières pluridirectionnelles, dans un contexte de ressources de plus en plus contraintes et des missions très évolutives voire nouvelles (quid de l’impact durable de l’IA dans la fonction publique ?).
Il convient également de prendre en considération dans l’équation, les attentes personnelles des administrateurs d’Etat largement impactées par ce nouveau cadre juridique, au regard de leur équilibre vie pro vie perso.
Enfin, il est à s’interroger sur la pertinence de l’extension du champ de la réforme à l’ensemble de la haute fonction publique, territoriale et hospitalière comprises.
Dernière question, nous avons l’impression que si vous partagez l’esprit de la réforme, vous considérez quand même le domaine des finances publiques comme spécifique ?
Le statut "hors Administration Territoriale de l’Etat" de la DRFiP ( comme ARS et Rectorat) est motivé notamment par des fonctions régaliennes exclusives (contrôle fiscal, contrôle budgétaire et financier par exemple) qui s'appuient sur une expertise technique poussée justifiant à mon sens la préservation indispensable d'un haut niveau d'expertise.
La mobilité interdirectionnelle et a fortiori accrue, attendue à l'avenir des administrateurs de l’Etat, pourrait nuire à la bonne appréhension des enjeux juridiques, financiers, politiques de certaines situations. Il ne s'agit pas de faire des décideurs des hyper experts (les services sont là pour ça) mais le "papillonnage" administratif présente un risque réel de perte de rigueur et de cohérence dans le pilotage stratégique (sensément fondé sur la validation de situations techniques humaines et politiques complexes) de ces missions spécifiques. Cela sans compter sur le risque de banalisation des missions, de perte d'image, de crédibilité et d'attractivité (Bercy, la DGFiP attirait il y a peu encore). Et bien sûr, cerise sur le gâteau, la RGP qui vient éclairer d'un jour nouveau l'exercice et le pilotage de nos métiers.

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