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Entretien avec Patrick Weiten, Président du Conseil départemental de la Moselle

  • La rédaction
  • 8 juil.
  • 9 min de lecture

Juin 2025


Inauguration par Patrick Weiten du Centre Départemental de l'Enfance
Inauguration par Patrick Weiten du Centre Départemental de l'Enfance

En guise d’introduction, pourriez-vous présenter les grandes étapes de votre parcours à nos lecteurs ?


Je suis né à Yutz, une commune de 18 000 habitants au nord de la Moselle. Fils de sidérurgiste chez Usinor, j’ai vécu le démantèlement de la sidérurgie mosellane et j’ai défilé dans Paris pour la défendre. J’ai connu ce drame industriel qui signifiait la retraite à quarante ans pour les mineurs et à cinquante ans pour les sidérurgistes.

Après mes études, je suis rentré comme fonctionnaire territorial à la mairie de Yutz, en tant qu’ingénieur en génie urbain. Je suis ensuite devenu directeur des services techniques à Yutz puis je suis devenu Directeur général de la Société d’Économie Mixte d’aménagement du territoire de la commune pendant cinq ans. Lorsque j’ai décidé de

m’engager en politique, je suis parti travailler dans le privé en dirigeant une entreprise de cinquante salariés.


En 1995, cinq listes s’affrontaient aux élections municipales de Yutz. J’ai pris la tête de la liste indépendante, et avec notre équipe de « joyeux drilles », nous avons gagné les élections ! Yutz était alors une commune en déclin, avec la fermeture des usines de sidérurgie, des ateliers SNCF... 

Il n’y avait plus que 13 000 habitants en 1995. Nous sommes aujourd’hui 18 000 et Yutz est désormais la cinquième commune du département.


En 1998, je suis  élu au Conseil général et suis successivement  Vice-Président de la commission économie, Président de la commission des routes, Vice-président délégué aux routes, 1er Vice-Président, avant d’être élu Président du Département en 2011.


Parallèlement, j’ai participé à la naissance de la région Grand Est en tant que 1er Vice-Président au côté de Philippe Richert. J’étais le suppléant d’Anne Grommerch à l’Assemblée nationale, et quand Anne est décédée, je l’ai remplacée en tant que député, comme je lui en avait fait la promesse. Au total, j’ai mené treize campagnes et remporté treize victoires. Cela, je le dois notamment à mon caractère de compétiteur, moi qui ait pratiqué le volleyball au niveau national en tant qu’entraineur, arbitre et joueur. Une passion qui m’a permis de m’engager comme représentant de Départements de France pour les Jeux Olympiques de 2024.


Enfin, je suis papa de deux filles et grand-père de trois petits-enfants. Je suis attaché aux valeurs familiales et grand adepte de Robert Schuman qui fut mon prédécesseur sur le canton et la circonscription.


Au cœur de votre engagement, il y a l’Europe, comme une seconde nature. À l’heure des 75 ans de la Déclaration Schuman, mais aussi du spectre de la guerre aux portes de l’Europe, que signifie pour vous le projet européen aujourd’hui ? Et comment s’incarne-t-il en Moselle ?


L’Europe c’est le quotidien des Mosellans. Chaque jour, 140 000 Mosellans traversent la frontière. Et puis, la Moselle, comme l’Alsace, a subi trois conflits, celui de 1870, de 14-18 et de 39-45. Les Mosellans ont changé quatre fois de nationalité sans changer de domicile. Nous savons ce qu’est la guerre et nous portons les valeurs de la République.


Précisément, Robert Schuman a déclaré l’Europe car il a vécu dans son corps les affres de ces conflits tous comme nos concitoyens. 300 000 Mosellans ont été enrôlés de force dans l’armée allemande, ce sont les fameux « Malgré-nous ».


Rappelons-nous que la Moselle a été évacuée quand l’armée allemande est arrivée à la limite de la ligne Maginot, puis elle a été annexée, martyrisée, puis enfin libérée après des combats qui ont duré de septembre 1944 à mars 1945.

Ici, nous savons que l’Europe est un rempart protecteur, et un accélérateur de développement.

Pour moi, la relation avec nos voisins allemands, belges et luxembourgeois fait partie des priorités départementales. 


La Moselle est au cœur géographique, économique et symbolique de l’Europe. Une partie de l’économique de la Moselle s’appuie d’ailleurs sur notre situation géographique. Ce n’est pas un hasard si la Moselle est le seul département où la flamme olympique est sortie du territoire national pour aller quelques heures à Schengen. J’en ai été l’artisan, j’en suis heureux et fier.


En quelques années, vous avez su changer l’image de la Moselle qui est aujourd’hui un département attractif…


Durant les Trente Glorieuses, nous avons reconstruit la France, nous avons extrait le charbon et créé une véritable autonomie sidérurgique. Tout cela s’est effondré à partir des années 70 dans ce que je qualifie de “Trente Malheureuses”.

Il a fallu redresser le département. Mon projet a été de reconstruire notre image et de tourner la page des grandes années de la sidérurgie, même si cette belle industrie perdure. J’en veux pour preuve le fait que l’acier de la torche olympique était mosellan !


Voilà pourquoi j’ai misé sur l’attractivité en m’appuyant notamment sur le sport, le tourisme et la culture. Et c’est ainsi qu’est née notre stratégie VIENS-RESTE-REVIENS notamment portée par notre agence « Moselle  attractivité ». De cette stratégie ont émergé de gros évènements comme les Noëls de Moselle, ainsi qu’un label “Qualité MOSL” et une marque  « MOSL - MOselle, Sans Limite » qui sont la traduction de la qualité mosellane et dont bénéficient aujourd’hui 5 000 produits. 

Nous soutenons le secteur agroalimentaire et l’agriculture, nous développons les circuits cours dans les collèges, nous mettons en valeur le savoir-faire industriel. Un produit labellisé, c’est 25 % de commercialisation supplémentaire. Parallèlement, nous avons développé un réseau de plus de 7 000 ambassadeurs de la Moselle !


Et nous venons de créer un nouveau label « Moselle Employeur » qui traduit notre engagement dans une démarche de protection des savoir-faire. Nous travaillons également au niveau de l'attractivité des étudiants. Ainsi nous avons mis en place un Schéma de l'Enseignement supérieur, en partenariat avec l'Université de Lorraine. À l’heure où l’INSEE nous annonce une perte de 200 000 habitants dans les trente prochaines années, mon objectif est de faire mentir les statistiques qui n’ont rien à voir avec une stratégie et une vision d’avenir. Ce que j’ai réussi à Yutz, je vais le réussir dans le

département.


“ Mon objectif est de faire mentir les statistiques qui n’ont rien à voir avec une stratégie et une vision d’avenir  ! ”

L’histoire de votre département est profondément liée à celle de l’industrie. Après des années difficiles pour ce secteur, l’horizon semble radieux pour l’industrie mosellane, pouvez-vous nous en dire davantage ?


En 2023, 2 milliards d’euros d’investissement ont été annoncés pour l’industrie, un chiffre qui n’avait pas été atteint depuis les années 60. Ici en Moselle, je peux vous donner deux exemples de cette réindustrialisation. Tout d’abord l’implantation de l’usine HoloSolis, qui représente 2 000 emplois sur le territoire. Autre exemple, l’annonce lors du dernier sommet Choose France, que l’entreprise américaine Circ allait investir 450 millions d’euros à Saint-Avold, en Moselle, pour y implanter la première usine du monde de recyclage chimique des textiles complexes.


Parallèlement, nous avons lancé la démarche « Moselle, Terre des Énergies » dans un contexte de découverte d’un gisement d’hydrogène blanc qui pourra potentiellement représenter une ressource incommensurable capable de répondre aux besoins des industries et de la mobilité. Ceci est d’autant plus prometteur qu’un pipe-line nous reliant à la Sarre est déjà opérationnel.


Enfin, je travaille beaucoup sur la question de l’eau, notamment à travers les Assises de l’eau que nous organisons, car nous possédons un immense gisement dans nos anciennes mines

de fer et de charbon. C’est un enjeu énorme pour l’agriculture en particulier afin de lutter contre les sécheresses à venir.


Votre département se montre particulièrement mobilisé sur la question de la protection de l’enfance. Quelle est votre vision et votre méthode pour aborder cette question particulièrement sensible ?


En 2011, lorsque je suis devenu Président, j’ai fait de la protection de l’enfance, LA grande cause départementale.

À l’époque, nous comptions 1 700 enfants placés. Aujourd’hui, ils sont 2 200.


Malheureusement c’est le fruit des dysfonctionnements de notre société. Cette responsabilité de la protection de l’enfance est la mienne en tant que Président du Département. 


À côté de ces enfants placés, nous comptons 450 mineurs non accompagnés. Je considère qu’à partir du moment où leur minorité est confirmée, ils deviennent Mosellans à part entière. Nous n’avons aucun problème avec eux, ils viennent ici pour vivre, s’intégrer et travailler. Tous les mineurs non accompagnés sont accueillis et tous sont placés en institution. Aucun ne dort dans la rue ou ne loge à l’hôtel. Nous travaillons avec les fédérations de professionnels pour favoriser leur insertion.


Cela crée de belles histoires humaines. Je recherche toutes les formes d’accueil et d’accompagnement pour nos jeunes et nous travaillons à une meilleure territorialisation de la protection de l’enfance. C’est pourquoi j’ai souhaité créer des annexes du Centre Départemental de l’enfance sur nos territoires. Je crois en la proximité. Il ne faut surtout jamais rompre le lien entre les parents et les enfants tant que cela est possible.


Parallèlement à cela nous développons des emplois d’assistants familiaux. Nous avons également mis en place le système

« Bulle  d’R » pour maintenir le lien et trouver des solutions de répit. Au cœur de tout cela, il y a la volonté d’adapter les réponses aux situations. Le vrai problème, c’est que 50 % des enfants placés ont un problème psychologique ou psychiatrique. C’est là la responsabilité de l’État, notamment du fait du manque de place dans les IME. Je ne cesse de le dire à nos interlocuteurs de l’État.


Je veux aussi souligner que j’ai mis en place une convention avec le ministère de la Justice pour traiter la question de la prostitution des mineurs. Cette convention est une première en France et cela commence déjà à porter ses fruits. Entre 1987 et 1994, j’ai été juge assesseur au tribunal pour enfants, cela a profondément façonné ma vision de la protection de l’enfance. Dans ces politiques sensibles, la meilleure attitude est celle de la réserve et de l’action.


Pourquoi avez-vous fait de la mobilité un axe fort de votre action en Moselle ? 


Assurer la diversité des mobilités, c'est garantir la liberté de déplacements des Mosellans, répondre aux besoins du quotidien comme aux enjeux de transition, et structurer un aménagement équilibré de notre territoire. Car nous le savons : la mobilité crée la richesse - elle conditionne l'accès à l'emploi, à la formation, aux services, et donc à l'égalité des chances sur l'ensemble du territoire mosellan.


La Moselle, comme tous les départements de France, souffre d’une équation budgétaire de plus en plus complexe à résoudre. Êtes-vous confiant pour l’avenir des Départements et comment faire d’avantage entendre leur voix ?


Le problème central est le suivant : quelle est la politique de l’État sur la France des territoires et sur la nécessité exprimée par les Français d’avoir des institutions de proximité qui agissent pour eux au quotidien ?  Petit à petit, nous avons vu le soutien aux départements s’effriter et les départements commencer à être sous le joug de l’État avec la fin de l’autonomie fiscale. 


Cela conjugué aux hausses naturelles des dépenses, notamment sur le champ du social, les départements se trouvent en grave difficulté, alors même que c’est sur ce terrain des solidarités que l’action publique doit être la plus volontariste.


Aujourd’hui où en est le Plan grand âge ? Tous les jours je suis sollicité pour des placements dans les EHPAD. Il en va de même pour la question du handicap, avec des MDPH envahies de demandes que l’État ne nous aide pas à honorer. Idem pour la protection de l’enfance, idem pour le RSA avec un État qui décide et des départements qui paient. Nous n’avons plus les moyens d’agir sur nos responsabilités régaliennes et l’État n’assume même plus ses engagements sur le transfert de charges. 


Nous sommes en permanence au front, mais sans moyens. Des départements commencent à faire l’impasse sur le soutien, la vie associative aux bénévoles, ce qui prouve la gravité de la situation. Tout ceci sans parler des besoins en sécurité civile, face aux risques inondations, incendies… Je prépare depuis deux mois notre budget 2026 et je ne sais pas comment nous allons parvenir à le boucler.


Vous êtes à la tête du Département depuis 2011. De quoi êtes-vous particulièrement satisfait, et que reste-t-il à approfondir ?


Je dirais qu’il s’agit de la protection de l’enfance, car il est possible d’améliorer concrètement les choses. Je dis ceci avec beaucoup d’humilité et de discrétion. La protection de l’enfance reste LA grande cause départementale, même si nous sommes confrontés à de grandes difficultés de recrutement, ce qui est une nouvelle démonstration que notre société ne va pas bien.


L’autre point dont je suis fier est celui de l’attractivité et d’avoir su donner à la Moselle la place qui lui revient par son activité, son histoire, sa géographie, son ambition. Je voulais rendre les Mosellans fiers de leur territoire.


La Moselle est un département à l’histoire et au patrimoine très riches. Que nous conseillez-vous de découvrir et quels sont pour vous les trésors cachés de votre territoire ?


Tout d’abord notre patrimoine, je pense à la cathédrale de Metz que Verlaine a qualifié de « lanterne du bon Dieu » avec la surface de vitraux la plus importante d’Europe. Je pense aussi au château de Malbrouck, par exemple. Nous regorgeons de merveilles patrimoniales. Je veux aussi citer nos espaces naturels. 83 % de la superficie mosellane est naturelle et préservée, faite d’herbe, de cours d’eau, de forêt. 

Je pense également à la Maison de Robert Schuman, aux grands évènements, aux savoir-faire comme la verrerie de Meisenthal, à la Cité des loisirs d’Amnéville et ses cinq millions de visiteurs annuels… 


Si le guide Michelin a choisi Metz pour la remise de ses étoiles en mars dernier, c’est la démonstration que nous comptons dans le paysages touristique, avec une hôtellerie et une restauration de très grande qualité. Sans oublier la viticulture, puisque la Moselle fait partie des grands vins de France, elle qui chaque année revient du salon de l’agriculture avec trois à cinq médailles !

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