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Entretien avec Bertrand Bellanger, Président du Conseil départemental de la Seine-Maritime

  • La rédaction
  • 2 oct.
  • 8 min de lecture

Dossier Spécial - Département de la Seine-Maritime

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En 2015, la Seine-Maritime était le département le plus endetté de France. Dix ans plus tard, la collectivité sort son épingle du jeu avec une forte capacité d’investissement, là où beaucoup de Conseils départementaux sont dans une situation très difficile. Comment expliquez-vous ces résultats ?


En 2015, le département de la Seine-Maritime était effectivement le plus endetté de France. C’était facile à constater : 1 000 euros de dette par habitant, soit un encours total de 1,25 milliard d’euros. Une somme considérable qui nous mettait dans une spirale d’endettement paralysante.


Pascal Martin qui était alors président a décidé de faire du désendettement une priorité absolue. Cela s’est traduit par une gestion rigoureuse, avec des choix budgétaires très affinés, et par une ligne claire : se concentrer sur toutes nos compétences, mais rien que nos compétences. Progressivement, nous avons pu entamer un travail de réduction de la dette.


Un deuxième facteur est intervenu, plus récemment : la progression pour un temps des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Comme partout en France, ces recettes avaient alors fortement augmenté. Mais là encore, un choix politique a été fait. L’opposition nous proposait de dépenser plus, d’augmenter le fonctionnement. Nous avons choisi au contraire d’affecter cette manne à l’accélération du budget de désendettement.


Résultat : en dix ans, nous sommes passés de 1,25 milliard à moins de 700 millions d’euros de dette. Ce qui signifie une économie substantielle en frais financiers : 25 millions d’euros par an, soit l’équivalent de la construction d’un collège chaque année.


Cette économie nous a permis de retrouver des marges de manœuvre pour investir. Nous avons atteint un niveau jamais vu depuis plus de dix ans : plus de 300 millions d’euros investis l’an dernier. Cet effort s’est traduit par la rénovation et la construction de collèges, par l’amélioration énergétique de nos bâtiments, par un soutien accru aux associations, aux EHPAD, aux communes et aux intercommunalités.


En 2024, nous avons par exemple consacré 31 millions d’euros d’aides aux communes et engagé plus de 60 millions d’euros sur cinq ans dans les contrats de territoire pour accompagner les intercommunalités.

En résumé, le désendettement nous a permis de transformer une contrainte financière en atout politique : moins de frais financiers, plus de capacité d’investissement, et un département qui retrouve un chemin vertueux.


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Avoir été chef d’entreprise tout au long de votre carrière représente-t-il un atout dans votre approche budgétaire et financière du Département ? Et comment envisagez-vous le lien public-privé ? 


Assurément, dans le monde de l’entreprise : on ne dépense pas l’argent qu’on n’a pas. 


Dans le monde de l’entreprise, si vous vous engagez au-delà de vos moyens, vous ne tenez pas longtemps. Cette vigilance aux équilibres financiers, je la garde toujours à l’esprit. 


Mais je veux être clair : une collectivité ne se gère pas comme une entreprise. Les environnements sont différents et surtout, les objectifs ne sont pas comparables. L’entreprise poursuit une finalité commerciale, industrielle, elle cherche à créer de la valeur économique au profit de ses actionnaires et de ses salariés. Une collectivité locale, elle, poursuit des objectifs d’intérêt général et de service public. 


Bien sûr, nous pouvons nous inspirer de certaines méthodes de gestion : la rigueur, la capacité à mesurer le retour sur investissement, le sens de la valeur des choses. Tout cela est transposable. Mais il faut se garder des raccourcis faciles qui consistent à dire : “si les collectivités étaient gérées comme des entreprises, tout irait mieux”. Ce n’est pas vrai. 


Ce que mon expérience m’a donné, c’est une culture de la discipline budgétaire et un souci de l’efficacité, mais appliqués à des finalités très différentes. J’ai co-dirigé un groupe familial dans l’informatique, puis exercé des responsabilités chez Veolia et dans une société industrielle spécialisée dans le traitement des déchets dangereux. Ces expériences m’ont apporté des méthodes, mais surtout la conviction que l’action publique

doit rester lisible, stable et tournée vers

l’intérêt général. 


C’est aussi ce qui nourrit ma vision du lien public-privé. Les deux mondes ne doivent pas s’ignorer. Les entreprises ont besoin de collectivités solides et responsables. Et les collectivités ont besoin du dynamisme des entreprises pour l’emploi, l’innovation et la formation. Il ne s’agit pas de les confondre, mais de savoir travailler ensemble.



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Régulièrement sur la sellette, les Départements tiennent bon et s’imposent comme un échelon de proximité aimé des Français. À vos yeux, qu’est-ce qui fait la force de cette strate et comment imaginez-vous l’avenir des Conseils départementaux ?


Pour moi, il y a deux raisons principales qui font la force des Départements.

La première, c’est la proximité. Nous sommes proches de nos concitoyens par les solidarités humaines que nous gérons, mais aussi proches des communes. C’est le socle républicain : les communes et le Département travaillent ensemble. 


La deuxième raison, c’est notre mode de désignation. Les conseillers départementaux sont élus au scrutin binominal majoritaire à deux tours. Cela crée un lien direct entre les électeurs et leurs élus. En milieu rural, chacun connaît son conseiller ou sa conseillère départementale. Ce n’est pas forcément le cas pour d’autres strates, comme la Région, où le scrutin proportionnel éloigne davantage élus et citoyens. 


Je crois donc que l’échelon départemental est indispensable, surtout dans une période où le lien entre élus et citoyens est fragilisé. Mais il faut aller plus loin. Nous avons perdu notre autonomie fiscale : c’est une erreur.


Aujourd’hui, 70 % de nos dépenses de fonctionnement sont contraintes, à travers l’APA, la PCH, le RSA. Quand vous n’avez plus que des dotations pour faire face à cela, vous ne pouvez plus porter de véritables politiques publiques.

Je suis convaincu qu’il faut rendre aux Départements une autonomie fiscale, pour leur permettre de mettre en œuvre

des politiques adaptées à la typologie de leur territoire. Un petit département rural n’a pas les mêmes besoins qu’un grand

département industriel comme la Seine-Maritime. Pour moi, c’est un enjeu fondamental. »


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La Seine-Maritime est un département où se côtoient des identités territoriales fortes. Est-il difficile de trouver le bon équilibre et de piloter un Département qui compte pas moins de 35 cantons ?

 

Non, au contraire, c’est ce qui rend les choses intéressantes. La Seine-Maritime, c’est un peu la France en miniature. 


Vous avez près de deux tiers du territoire constitués en terres agricoles. Vous avez un département industriel, avec 70 sites SEVESO seuil haut. Vous avez deux grandes métropoles (Rouen et le Havre), 130 km de Seine, 130 km de littoral. Tout est là. 


Cette diversité justifie l’utilité d’un Conseil départemental. Lorsque je préside l’Assemblée, j’ai 69 élus en face de moi. Ils ont tous la même légitimité dans leurs cantons, qu’ils soient ruraux, urbains, industriels ou agricoles. Et chacun s’exprime au nom de cette diversité. 


C’est une richesse. Mon rôle, c’est de faire en sorte que cette diversité soit un atout pour le Département, et pas une source de division. »


La Seine-Maritime compte de grands noms des arts. Vous-même, vous avez fait de la culture l’un des axes forts de votre présidence. Pourquoi ce choix ?


Parce que je considère que la culture est essentielle.

Nous avons la chance d’avoir une histoire et une richesse culturelle importantes. Mais nous avons aussi souffert d’un retard éducatif, lié à notre histoire industrielle. Longtemps, les enfants de Seine-Maritime ont été sous-scolarisés, avec un enseignement supérieur faible. J’ai voulu que la culture soit un levier pour rattraper ce retard et irriguer tout le territoire.


Nous avons distribué plus de 56 000 tablettes aux collégiens et aux enseignants de nos 109 collèges publics avec des usages adaptés notamment aux enfants atteints de troubles “dys”. Nous avons numérisé 10 000 ouvrages à la médiathèque départementale, dont 2 000 spécialement conçus pour ces enfants. Depuis quatre ans, toutes les classes ULIS et SEGPA sont équipées.


Nous faisons de la lecture publique une priorité. L’opération Lire à la plage en est un bon exemple : chaque été, nous mettons 13 000 ouvrages à disposition sur 13 plages, et 65 000 lecteurs en profitent.


Au total, nous consacrons 15 millions d’euros à la culture, un budget sanctuarisé. C’est un choix politique fort. Et c’est aussi une responsabilité nationale : mes collègues présidents m’ont confié la commission culture et patrimoine à l’Assemblée des Départements de France.


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L’agriculture est un pilier économique en Normandie. Quelle politique le Département déploie-t-il pour soutenir ses agriculteurs, producteurs et éleveurs locaux ?


La Seine-Maritime est une terre agricole, avec 65 % de surfaces cultivées et environ 4 500 exploitations. Nous produisons des céréales, des betteraves, mais aussi un produit emblématique : le lin. La Seine-Maritime, c’est

40 % de la production nationale. Et dans le lin, tout est bon, il n’y a aucun déchet.


Nous avons voulu accompagner nos agriculteurs avec des aides très concrètes. Nous avons mis en place un dispositif d’aides aux petits investissements agricoles, en partenariat avec la Région Normandie. Il s’agit d’équipements plafonnés à 10 000 euros, que nous subventionnons jusqu’à 40 %. Cela concerne beaucoup les exploitations d’élevage, avec du matériel qui réduit la pénibilité du travail.


L’an dernier, nous avons consacré plus de 3 millions d’euros à l’agriculture. C’est un effort important à l’échelle du Département. Et c’est une politique très appréciée des exploitants, parce qu’elle répond à leurs besoins immédiats.


Nous sommes aussi présents à leurs côtés dans les grands rendez-vous. Je pense à Terres de Jim, organisé par les Jeunes Agriculteurs, la plus grande fête agricole d’Europe.


C’est une façon de montrer notre proximité.


Le projet de construction des deux premiers EPR2 à Penly a débuté en juillet 2024. Vous défendez ce choix de l’industrie comme acteur de la transition environnementale. Pouvez-vous nous en dire davantage ?


La Seine-Maritime est une terre de culture, mais aussi une terre d’énergie.


Nous avons déjà deux centrales nucléaires, deux parcs éoliens offshore – l’un à Fécamp, l’autre au Tréport – et des projets autour de l’hydrogène et des carburants verts. L’EPR2 à Penly vient renforcer cette vocation.


C’est le plus grand chantier d’Europe : 13 000 personnes au pic d’activité.


Le Département intervient dans ses compétences : nous aménageons les infrastructures routières pour faciliter la logistique, nous travaillons sur le logement via les aides à la pierre, et nous faisons de ce chantier une opportunité pour l’insertion. Avec notre programme JOB76, nous orientons des bénéficiaires du RSA vers des parcours liés à ce grand projet. En cinq ans, nous sommes passés de 42 000 à 38 000 allocataires du RSA. Nous voulons poursuivre cette dynamique.


Pour nous, ce chantier de l’ERP2 de Penly est à la fois une chance énergétique et une chance sociale.


Pour finir, quel est votre coup de cœur gastronomique en Seine-Maritime ?


C’est difficile de choisir, mais je vais vous en donner plusieurs, car ils racontent notre identité.


D’abord la sole à la dieppoise : des filets de sole au four, nappés d’une sauce aux champignons, aux moules et aux crevettes grises, le tout enrichi de beurre normand. C’est une spécialité que l’on ne trouve que chez nous.


Ensuite le canard à la rouennaise : préparé à partir du canard de Duclair, qui n’est pas saigné mais étouffé, ce qui permet de conserver le sang. On lève les filets, on presse la carcasse avec une presse spécifique, et on prépare une sauce unique. C’est une recette historique, qui a donné naissance à la Confrérie des Canardiers, présente dans le monde entier.


Il y a aussi le Neufchâtel, notre fromage AOP, l’un des plus anciens de France. C’est un fromage de vache à pâte molle, en forme de cœur. La légende dit que, pendant le Moyen Âge, les jeunes fermières l’offraient aux soldats anglais pour leur envoyer des messages.


Et puis, pour le dessert, le douillon : une pomme entière caramélisée, cuite dans une pâte feuilletée ou brisée. Simple, mais tellement représentatif de notre terroir.



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