Frédéric Salat-Baroux, Avocat Ancien Secrétaire général de l'Elysée
- La rédaction
- 9 juil.
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Interview - Juin 2025

Frédéric Salat-Baroux, ancien Secrétaire général de l’Élysée (2005-2007) pense la question territoriale depuis de nombreuses années. Son ouvrage « Révolution par les territoires » co-écrit avec Éric Hazan en appelle à un véritable changement de fond pour répondre aux grands enjeux locaux, nationaux et européen. Pour cela, il fait des territoires le point de départ d’une révolution à la fois démocratique, économique et technologique. Et si l’avenir passait par le réenracinement ?
Frédéric Salat-Baroux, votre dernier ouvrage « Révolution par les territoires » pose le constat d’une France, et plus largement d’un occident en perte de repères. Face à cela, vous en appelez à
un « réenracinement ». Que recouvre ce terme ?
Aux crises économiques, environnementales, géopolitiques actuelles s’ajoute une crise morale liée à la perte de repères et aux difficultés du quotidien. On ne se reconnait plus et l’on ne reconnait plus le pays dans lequel on vit.
Avec Éric Hazan, nous pensons qu’une des solutions pour sortir de ce malaise est d’encourager l’installation dans les territoires. Le terme terroir, si français, nous paraît en réalité plus juste.
Ce réenracinement est possible aujourd’hui grâce aux nouvelles technologies et sans avoir à renoncer à ses ambitions.
Pour cela, il faut en faire un projet national et se doter de l’ensemble des infrastructures numériques et de transport nécessaires et adapter notre droit du travail.
C’est possible.
Parmi les maux de notre temps, vous évoquez « l’économisme », phare contemporain qui aurait remplacé les Lumières et contribué aux grands bouleversements de notre civilisation. Où en est l’économisme aujourd’hui, et comment dépasser cet état d’avidité sans fin qui semble à bout de souffle ?
L’économisme, cette idée que tout peut se ramener à une logique de marché a conduit à la globalisation, aux délocalisations et à la désindustrialisation. Il a conduit aussi à la flambée des inégalités et à ce que nous appelons l’entrée en martyre des classes moyennes.
L’Occident pensait être le grand vainqueur de la globalisation. Elle l’a, au contraire, plongé dans une crise profonde.
Et l’Occident est aujourd’hui concurrencé dans ce qu’il pensait lui être réservé : l’innovation et la technologie.
Le trumpisme est une forme finale d’économisme : penser que tout est business. Il est voué à l’échec.
Face à cela, il nous faut rebâtir notre modèle à partir d’une double exigence : le réenracinement et l’innovation technologique.
« Pas de société solide sans enracinement. Pas de moyens d’agir et de conserver notre modèle sans création de richesses et donc sans être à la pointe de l’innovation. »
Pas de société solide sans enracinement. Pas de moyens d’agir et de conserver notre modèle sans création de richesses et donc sans être à la pointe de l’innovation. Notre manifeste vise à engager ce débat pour nous permettre de relever ce double défi.
Pour lutter contre une globalisation destructrice, vous en appelez à une véritable révolution par le local. Votre vision s’appuie-t-elle sur le fédéralisme girondin issu de la Révolution, sur la décentralisation des lois Defferre ou sur une nouvelle architecture à bâtir ?
Nous pensons que nos pouvoirs publics sont impuissants parce les différents échelons (territoires, gouvernement, Président de la République, Europe) ne font pas ce que l’on attend d’eux et font ce qui serait mieux fait par d’autres.
Nous récusons l’idée d’une nouvelle architecture ou la remise en cause de la Ve République. Il faut remettre chacun des échelons à sa juste place. C’est l’image que nous employons des quatre chevaux de Ben Hur, où, en les positionnant selon leurs qualités propres, il mène son char à la victoire.
Aujourd’hui, les territoires sont murs pour gérer l’ensemble des services publics du quotidien (santé, éducation, social, économie, emploi, logement, énergie…). Le gouvernement doit, lui, se concentrer sur la sécurité, l’immigration, la remise en ordre de nos comptes et la simplification de la loi. Le Président doit d’abord être en charge des affaires internationales et européennes et de la préparation de l’avenir. Quant à l’Europe, son rôle n’est pas de produire de la norme mais de relever le défi de la puissance économique lancé par les Etats-Unis et à la Chine.
Il nous faut, en réalité, retrouver la logique profonde de la Ve République et la vision si actuelle du général de Gaulle en 1969, fondée sur la nécessité de faire participer chacun à la gestion de ce qui fait son quotidien.
Dans cette révolution par le local, quelle place faites-vous aux Conseils départementaux ? Les départements ont-ils de
l’avenir ? Si oui, sur quelles prérogatives ?
Les départements ont un rôle essentiel. En zones rurales ou faiblement urbanisées, ce sont eux qui représentent et portent l’État et les services publics. Ce n’est rien connaître à la France que de proposer leur suppression dans une logique de nouvelle architecture territoriale. En revanche, il faut donner au couple région-départements, outre de nouvelles compétences, la liberté de s’organiser.
La situation n’est évidemment pas la même en zone rurale ou dans les grandes agglomérations. Il faut laisser à nos élus la possibilité d’adopter la meilleure organisation au regard des réalités du terrain. Pour cela, l’instauration du conseiller territorial est une réforme essentielle pour lier politiquement et démocratiquement la région et les départements. Un des membres du binôme cantonal doit siéger au conseil départemental, l’autre au conseil régional. Et le président du conseil régional doit être élu par les conseillers cantonaux et non dans le cadre de liste.
A cela s’ajoute notamment les questions de pouvoir adapter les règles au plan local et de sortir de la logique des dotations au profit de l’affectation d’impôts aux différents échelons territoriaux. Ce qu’a proposé le rapport Woerth est une première étape.
Que manque-t-il pour que cette révolution par les territoires voit le jour ?
Une prise de conscience, une volonté mais aussi beaucoup de travail technique. Aux élus, je dis : prenez le pouvoir du quotidien. Au Gouvernement, au Chef de l’État, je dis : prenez conscience qu’une telle évolution vous permettra de jouer pleinement votre rôle et de répondre aux attentes de la Nation. J’en appelle ainsi à la mise en place d’une Convention pour la République des territoires.
Elle devra réunir les compétences politiques, juridiques et techniques pour bâtir un projet fiable et viable de nouvel équilibre des pouvoirs. Le Sénat a vocation à l’accueillir. Le temps qui nous sépare de l’élection présidentielle permet de conduire ce travail approfondi. Le moment est venu.
« Ce n’est rien connaître à la France que de proposer la suppression des départements dans une logique de nouvelle architecture territoriale »
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